Je me demande pardon
Si nous ne nous sentions pas a minima coupable, le monde serait à feu et à sang. Encore plus … . La culpabilité est une limite à notre développement, mais elle est aussi une protection de notre conscience morale. A nous de distinguer quand nous avons à nous pardonner ou à nous faire la leçon.
Coupable à l’origine
« Tout le monde a péché puisque nous naissons tous pécheurs », nous dit la tradition chrétienne. Et du péché résulte la culpabilité, éperdus que nous sommes, dans la recherche d’un état de sainteté invivable. Nous porterions tous en nous le poids du péché originel.
Pour la psychanalyse, elle est « originaire ». Le tout petit enfant vit son immaturité comme un défaut : ne pas pouvoir attraper cet objet, se déplacer comme il voudrait, réaliser librement ses envies génèrent une culpabilité et une haine de soi. Cette culpabilité, reliée au sentiment d’impuissance et d’imperfection, nous poursuit toute notre vie, que nous en soyons conscients ou pas. D’autres étapes du développement de l’enfant pourraient susciter, d’une vue analytique, des sentiments de culpabilité : la sexualité infantile et la masturbation coupable parce qu’insatisfaisante, et la phase oedipienne qui phantasme l’extermination du parent du sexe opposé pour lui piquer sa place. Ce qui ne se fait pas, surtout à 5 ans … .
Culpabilité ou remords ?
Dans le monde des grands, la culpabilité est partout. Dans le couple, avec son patron, face aux difficultés scolaires de nos enfants, sur la balance avec ces 3 kilos en trop, au téléphone avec l’amie laissée tombée depuis 6 mois. La culpabilité rôde, prête à nous sauter à la gorge à tout faux pas. La psychologie bouddhiste distingue culpabilité et remords. La première nous met en pièces, et nous nous complaisons dans la légitimité d’être mauvais, inadaptés, pas parfaits, avec un certain bénéfice : s’autoflageller est plus facile que de se pardonner. « Le pardon implique un lâcher-prise si profond qu’il ressemble à une mort », précise la psychologue américaine Sharon Salzberg. Mourir à ses schémas, renoncer à se plaindre de soi alors que nous cultivons ainsi l’espoir sourd qu’une oreille amie nous rassure et vienne contredire notre vision de nous-même.
Le remords, lui, prend nos travers et nos comportements tordus à bras le corps, se demandant comment mieux faire la prochaine fois, ce qui est à comprendre de nos façons de fonctionner, de nos erreurs, afin de ne pas les reproduire. Le remords nous fait lâcher le passé. On passe dans le tambour de la machine à laver de l’auto-bilan, en ressortant essoré, mais propre. Il n’est pas question, ici, de fermer les yeux sur une action malfaisante que nous aurions commise, le pardon n’est pas une attitude passive, mais de cesser de se faire des reproches, en développant un sentiment d’auto-compassion. « Pour toutes les façons dont j’ai pu me faire du mal ou me blesser, consciemment ou inconsciemment, je me pardonne »*.
La bienveillance comme antidote
Nos culpabilités sont la plupart du temps disproportionnées. En réduisant l’intensité des plus rikiki, nous pouvons commencer à nous considérer avec plus de bienveillance. Nous nous traitons en général moins bien que les autres nous traitent. La capacité à se pardonner est fondamentale pour se dégager de l’emprise de l’aversion envers soi-même. Tant que nous restons prisonniers de nos anciennes actions, nous sommes incapables de vivre pleinement le présent. Notre cœur est fermé, notre univers est rétréci, nous sommes asservis au passé. Adoucissons l’idée que nous avons de nous-même et si la culpabilité persiste, apprenons aussi à mieux vivre avec.
Biblio :
– « Stupeur dans la civilisation » de Jean-Pierre Winter (Ed. Pauvert)
– * « L’amour qui guérit » de Sharon Salzberg (Ed. Belfond)